"Nema struja"
22h30, dans la pizzeria du centre de Strpce. Des rires derrière une musique d’ambiance, sous une lumière tamisée. Ce soir le restaurant fait le plein. Soudain, musique et lampions disparaissent. Comme toute la ville, la pièce sombre dans l'obscurité. Aucun signe de surprise parmi les clients présents, la scène est plus qu’habituelle ici. Juste un « nema struja » (pas d’électricité) lancé par Zoran le propriétaire des lieux, résigné. Lampes torches et bougies s’allument.
Du matin au soir, la vie de Strpce est bercée par le ronronnement peu harmonieux de ses générateurs électriques. Pas une maison, pas un magasin qui n’en soit équipé. Strpce est située dans la zone de distribution C, la pire du Kosovo. Ce régime accorde en alternance, trois heures de courant pour trois heures de coupures. Et encore, lorsque tout fonctionne. « Le week-end dernier, nous expliquait une habitante, la coupure a duré deux jours ».
Personne ne paye plus sa facture depuis longtemps. Pourquoi ? Parce que l’EDF locale, Elktro Kosova, demande de régler un arriéré qui remonte à 1999. Soit environ 35 euros par foyer et par mois sur huit ans. La Serbie a bien tenté de fournir directement ses enclaves mais l’ONU a refusé, autonomie oblige.
Du coup, la municipalité de Strpce s’organise. Grâce à un financement de la Serbie, toujours prompte à tout faire pour fixer ces 120 000 derniers Serbes au Kosovo, la municipalité projette de construire sa propre centrale hydroélectrique, dans les trois ans qui viennent.
Le Kosovo indépendant !
Aujourd'hui, la France a reconnu officiellement cet état, emboitant le pas aux Etats-Unis et à l'Afghanistan.
Dans les jours à venir, retrouvez sur ce blog une série de vidéos montrant le témoignage d'habitants du Kosovo, serbes et albanais. Ils nous diront ce qu'ils attendent de l'indépendance.
Notre reportage dans les DNA
Le reportage de Matthieu sur Strpce est à lire ce matin, samedi 16 février 2008, dans les Dernières Nouvelles d'Alsace :
Une station qui ne tourne plus rondLongtemps, la station de ski de Brezovica a été présentée comme un modèle de cohabitation entre Serbes et Albanais. Mais à l'approche de l'indépendance, les tensions sont vives et la population serbe s'inquiète pour son avenir au Kosovo.
Notre reportage dans Libé
Le reportage de David sur Strpce est à lire ce matin, samedi 16 février 2008, dans Libération :
A la veille de l’indépendance, les Serbes de Strpce résignés à l’exode
Le compte à rebours de l’indépendance du Kosovo a commencé (lire ci-dessous), et les Serbes de Strpce ont peur. «50 à 60 % des gens de la vallée ont déjà trouvé un endroit où habiter au cas où il faudrait quitter le Kosovo et les autres n’ont nulle part où aller», explique Slavisa Staletovic, le maire adjoint de cette ville de 14 000 habitants - dont 9 000 Serbes - perchée dans les montagnes du sud de la province, à 90 % albanaise.
Vous ne viendrez plus chez lui par hasard
Sans interruption jusqu'à le tard le soir, les habitants de l'enclave se succèdent pour remplir le réservoir de leur voiture et et reconstituer le stock d’essence familiale. Juste le strict nécessaire. De quoi se déplacer dans les 10 km² dans l'enclave et nourrir les groupes électrogènes, très gourmands. Le litre d'essence revient 1 euros au marché noir. Toujours moins cher que les deux seules stations à essence de Strcpe, à peine moins chères qu’en France.
Le pétrolier du marché noir est une multinationale. Son nom : la KFOR. Dans l'enclave, chacun sait que les soldats du contingent ukrainien y ont trouvé un bon moyen d'arrondir leur solde. Sauf qu'à Strpce au bout de 10 litres de super achetés, pas de point de fidélité.
Indépendance imminente !
Rouge UCK
Pour les Serbes de Strpce, l’édifice marque la fin de l’enclave, juste après la dernière église orthodoxe. Dans la guerre des symboles qui se joue ici, les radicaux albanais ont frappé un grand coup. Impossible de manquer le monument écarlate en l’honneur de l’UCK, la guérilla des années 1990.
Un premier mémorial, plus petit, avait été détruit à l’explosif en 2005. Cet incident était intervenu peu avant la visite à Strpce de Soren Jessen Petersen, alors responsable de l’Unmik, la mission de l’ONU au Kosovo. Il a immédiatement été reconstruit, encore plus imposant. A Strpce, certains Serbes affirment que sa destruction n’était qu’une manipulation.
Le monument de l’UCK fait désormais partie du paysage. Une voiture de la police de l’Unmik est souvent parquée devant. Les policiers contrôlent les allers et venues sur cette route théâtre de plusieurs incidents violents depuis la fin de la guerre.
Samedi, jour de marché
Des Roms de Prizren, des Albanais de l'enclave et des Serbes de Gjilan/Gnjilane : le marché de Strpce reflète toute la mosaïque du Kosovo.
Dans cette petite rue en pente, les étals sont montés sur des camionnettes. La quincaillerie vient de Chine, seuls les légumes et les poulets proviennent du Kosovo.
Pour les habitants de l'enclave de Strpce, ce marché représente pourtant une ouverture vitale vers l'extérieur. Dans la remorque d'un paysan six cochons se serrent pour se tenir chaud.
Notre amie Milosava relève la plaque d'immatriculation : ce sont des Serbes de la commune de Gjilan/Gnjilane. Avec leur camionnette facilement identifiable, insiste t-elle, ils ont pris des risques en parcourant les 30 kilomètres jusqu'à Strpce. Dans notre enclave, le moindre geste de la vie quotidienne est marquée par le contexte politique du Kosovo.
A Strpce, on vote Nikolic à la bougie
19h57. Dans l’un des seuls restaurants de la ville, une télévision décatie branchée sur la chaîne publique diffuse la soirée électorale. Dans l’indifférence générale, l’écran s’éteint. Le scrutin est serré. Il faudra attendre pour connaître le visage du prochain président serbe.
22h30. Nous recevons un SMS de Milosava, notre contact à l’OSCE, qui nous communique les résultats à Strpce. Tomislav Nikolic, qui avait déjà raflé près 55% des suffrages dès le premier tour, a été plébiscité par plus de 72% des votants au second tour.
Depuis près de cinq ans, le parti de Tomislav Nikolic est bien implanté à Strpce. Le visage du candidat s’affiche en évidence dans les vitrines de nombreux magasins de la ville. Pour beaucoup ici, Nikolic incarnait le dernier espoir de conserver un Kosovo serbe.
Brezovica dérape parfois
Une crémaillère fatiguée, quelques petits chalets-restaurants et une piste unique desservie par le seul télésiège encore en activité : bienvenue à Brezovica-sur-neige, la station de ski de Strpce. Arte, le New York Times et d’autres sont venus y vanter la réussite d’un paradis de la glisse « où chaque week-end, le miracle se produit : Albanais et Serbes oublient leurs divisions pour skier ensemble au Kosovo ».
Un tableau idyllique à nuancer d’une touche de réalité balkanique. Bien sûr, les Albanais de toute la région débarquent par bus entier pour dévaler les pentes de la station. Mais à Brezovica, chacun doit rester à sa place. Vive Brezovica, tant qu’elle reste serbe et que des Albanais n’y lancent pas de business, ou n’y établissent leur résidence permanente. Et le week-end, la plupart des habitants serbes de Strpce fuient la station, réputée alors « pleine d’Albanais ».