A propos de ce blog

Nous sommes trois étudiants de l'Institut de Journalisme de Bordeaux Aquitaine (IJBA) en reportage à Štrpce, une enclave serbe au sud du Kosovo, avec caméra et appareils photo.

Notre objectif : tourner un film documentaire et réaliser plusieurs articles pour des journaux, sites web et radios français.

Quinze jours à Štrpce

Durant deux semaines, nous allons vivre au rythme de cette commune rurale du Kosovo, aller à la rencontre de ses habitants. Ce blog n'est pas seulement le making of du reportage : c'est aussi un calepin où nous feront part de nos galères, nos impressions et nos premières infos, illustrées par les photos prises sur place.

10 kilomètres de large



Nous voici à Štrpce, le sujet de notre reportage au Kosovo. Une enclave, ou plutôt un mouchoir de poche : 12 villages, serbes pour la plupart, s’étendent sur un territoire large de 10 km. D’exubérants symboles se chargent d’introduire le visiteur dans ce lieu à part. Sur la route en lacet qui mène à Strpce, un imposant monument de l’UCK – 8 mètres de murs peints en rouge sang – ferme le Kosovo albanais. Quelques dizaines de mètres plus tard, un passager serbe nous désigne le début de l’enclave, qu’ouvre une église orthodoxe. Au check point de la KFOR, deux soldats ukrainiens nous font un signe de la main.

Premières rencontres, premiers témoignages sur la vie dans une enclave au Kosovo. « Jika », le pope de cette communauté très croyante, nous raconte son exil depuis la ville voisine d’Urosevac/Ferizaj. En 1999, après l’arrivée de l’OTAN, tous les habitants serbes ont été chassés par une poignée d’extrémistes albanais. Lui est encore resté cinq jours enfermé dans sa maison, pour veiller sur son église et ses précieuses archives. Depuis, sa maison a été détruite, l’église pillée. Quand il y retourne désormais, c’est sous escorte des soldats de la KFOR, la force internationale de l'OTAN.

A Štrpce, les habitants sortent le moins possible de leur territoire ténu, où ils disent se sentir en sécurité. Au-delà, nous dit ce jeune rencontré autour d’un café turc, les voitures « serbes » sont immédiatement repérées par leurs plaques d’immatriculations. « Et c’est à tes risques et périls », affirme Radovan. Pour les grands départs vers la Serbie, Zvetan a trouvé la solution : il dévisse sa plaque serbe, pour la remplacer par une discrète plaque « KS », comme Kosovo.

Cinq euros et deux canettes



Lundi, 7h00, les yeux peinent à s’ouvrir, le verbe est hésitant. C’est le réveil, sur le siège de notre bus Eurolines, sous la neige de Slovénie, après une trop courte nuit à tenter de trouver le sommeil et la position la moins pénible.

En guise de matines, la voix de notre chauffeur kusturicien résonne dans les hauts-parleurs. Un long message rauque et lancinant en serbe. Incompréhensible, forcément. Notre voisin nous avise de quoi il s’agit. Rien de plus qu’une habitude un poil désuète aux yeux des enfants de l’espace Schengen que nous sommes. Un jeune passager est réquisitionné pour faire la « quête ». Cinq euros par personnes destinés au bakchich des douaniers croates, nous dit-on. Le rituel se répète trois fois. Aux frontières slovène, croate puis serbe.

La première fois, tous les passagers descendent. Tous des yougos qui rentrent au pays. Nous patientons une demi-heure dans un no man’s land situé entre Slovénie et Croatie marquant la fin de Schengen. Le temps pour le chauffeur de se délester de la somme collectée et de deux canettes de coca. L’objectif annoncé de la manœuvre : que les gabelous renoncent à fouiller le bus - afin d’arriver plus vite à destination ? Tout ceci malgré des affiches officielles montrant des douaniers menottés et indiquant un numéro vert à composer en cas de corruption.

12h25. Nous roulons enfin sur une cahoteuse autoroute serbe. Une demi-heure plus tard, « welcome to Beogard », indique un panneau. Nous sommes à Belgrade. Nous y passerons la nuit. Demain, nous reprenons le bus. Huit heures pour traverser tout le Kosovo, du Nord au Sud, jusqu’à Strpce.

Le voyage hard discount



Samedi soir, veille du départ, un ami me demande d’où nous partons : « Roissy ? Orly ? » « Euh, non, Gallieni ! ». C’est la Gare routière internationale, bucolique hard discounter du voyage.

Dimanche, 14h30, porte de Bagnolet. C’est le départ. Avec ses check-in, le Figaro du jour offert, la station Eurolines de Gallieni revêt presque tous les atours d’un aéroport international.

Mais seuls des bus décollent de cette gare un peu glauque nichée dans les sous-sols du terminus de la ligne 3 du Metro parisien. Parmi une kyrielle d’autocars serrés en épis, le notre nous attend. Nous y passerons quelque 25 heures, pour engloutir 1700 bornes jusqu’à Belgrade, première escale avant le Kosovo.

Objectif : Štrpce !





Pour notre reportage au Kosovo, nous avons choisi de nous immerger dans une petite commune perdue dans les montagnes.

Štrpce est la plus grande enclave serbe au sud du Kosovo. La communauté internationale parle plus communément de Štrpce/Shterpce, les noms serbes et albanais de la ville.

Selon le dernier recensement, cette commune rurale compte 13.600 habitants, avec une majorité serbe (9.100), mais également 4.500 albanais et quelques familles roms. La majorité des habitants vivent de l'agriculture : c'est à Štrpce qu'est produit le fromage de Šar, célèbre dans tout le Kosovo. L'autre activité de la commune, c'est le tourisme : le territoire de l'enclave inclue Brezovica, la seule station de ski du Kosovo.

Selon un rapport de l'OSCE, la situation économique de l'enclave n'est pas brillante et le taux de chômage y est particulièrement élevé.

Selon nos premiers repérages par téléphone, Štrpce est un gros bourg ("une rue" nous a t-on même dit !) autour duquel essaiment plusieurs villages de montagne, reliés par un réseau de mauvaises routes. Les coupures d'électricité y sont fréquentes, plus qu'ailleurs au Kosovo semble t-il.

Nous arrivons sur place avec plein de sujets de reportages. Mais Štrpce reste pour l'instant un nom sur une carte, sur lequel nous projetons chacun un image produite par nos esprits... en attendant les présentations sur place.

Matthieu

La fine équipe

Nous sommes trois journalistes français étudiants à l'IJBA, intéressés par les sujets internationaux en général... et la situation du Kosovo en particulier. Amis d'école, nous avons formé une petite équipe pour se lancer dans cette aventure balkanique dans l'enclave de Štrpce.


Matthieu Fauroux est le rédacteur télé, balkanophile de la bande. Auteur du site Bosnie.org, il a réalisé plusieurs reportages dans les Balkans, au Mexique et en Californie.






Pierre Dehoorne est le Journaliste reporter d'image (JRI) de l'équipe. On lui doit notamment un documentaire sur le quotidien des urgences de Yaoundé, au Cameroun.





David Thomson est le journaliste pigiste polyvalent radio-presse. Il promène habituellement son Nagra et ses carnets de note dans les pays d'Afrique de l'Ouest.


 

Une station qui ne tourne plus rond



Reportage - Dans l'enclave montagneuse serbe de Brezovica, l'inquiétude est tangible.

Une station qui ne tourne plus rond



Longtemps, la station de ski de Brezovica a été présentée comme un modèle de cohabitation entre Serbes et Albanais. Mais à l'approche de l'indépendance, les tensions sont vives et la population serbe s'inquiète pour son avenir au Kosovo.

Zoran Boskocevic a un petit sourire triste quand il montre les chambres de son hôtel aux visiteurs. « La politique », commente-t-il seulement, en désignant les tags nationalistes qui maculent chaque espace du mur. Des inscriptions qui réclament le départ des Serbes du Kosovo, ou font l'apologie de l'UCK, la guérilla albanaise des années 1990.

Comme un tabou

Comme son personnel, ce Serbe n'a pas apprécié ces « provocations », oeuvre de jeunes clients. « J'ai toujours vécu ici. Mes enfants, eux, étudient à Belgrade et je ne crois pas qu'il y ait une place pour eux au Kosovo », lâche-t-il, fataliste.
La grande station de ski du Kosovo est aussi une enclave où quelques 7000 Serbes vivent en circuit fermé. La plupart d'entre eux n'osent pas sortir de ce territoire large de 15 km et le mot « indépendance » résonne ici comme un tabou, synonyme de craintes et d'incertitudes.
A Brezovica, l'électricité ne fonctionne que quelques heures par jour et les skieurs se retrouvent parfois coincés de longues minutes en haut des télésièges. Faute de ressources et d'investissements, le personnel de la station n'a pas reçu de salaire depuis neuf mois.
Pourtant chaque week-end, le miracle se produit. Des milliers d'Albanais du Kosovo viennent dévaler les pentes enneigées, ignorant les divisions ethniques qui ont provoqué la guerre de 1999 et les violences de mars 2004.
« Ici, la neige est excellente et l'ambiance a toujours été bonne, se félicite Besim Ajeti, un serveur albanais. C'est pour ça que les gens viennent de tout le Kosovo skier ici ». Bojan, son patron, a investi 11 000 euros pour transformer son chalet de pin en une coquette pizzeria.
Comme tous les propriétaires de Brezovica, il est Serbe. « Notre station est un refuge multiculturel, mais ces temps-ci, certains clients nous insultent. J'ai investi ici parce que je crois dans le développement de la station. Mais avec l'indépendance, qui sait si je pourrais rester ? ».

« La guerre est encore dans tous les esprits »

Sur le parking bondé, Hana Hoxa, une jeune Albanaise, range ses skis dans la voiture qui la ramène à Pristina. « Vivement la privatisation, qu'on ait enfin des installations correctes ici », lance-t-elle. Elle pense que cela se fera après l'indépendance, qu'elle attend avec impatience. Tout en restant prudente : « Mais au Kosovo, la guerre est encore dans tous les esprits. Il faudra beaucoup de temps avant que Serbes et Albanais puissent vivre ensemble ».

Matthieu Fauroux

Édition du Sam 16 fév. 2008

A Strpce, le fatalisme des enclavés

Dans cette enclave serbe au Sud du Kosovo, la perspective de l’indépendance inquiète.

Avant de monter dans le bus branlant qui relie chaque jour Strpce à Belgrade, ses deux chauffeurs se signent avec application. La dévotion des Serbes du Kosovo, orthodoxes fervents, n’explique pas seule leur geste. Depuis 1999, la route en lacet qui grimpe vers l’enclave a été le théâtre de plusieurs incidents visant des Serbes.

« A chaque fois que tu sors de l’enclave, c’est à tes risques et périls », affirme Milosava Banasevic, une petite blonde énergique, employée d’une organisation internationale à Strpce. « Au Kosovo, les Albanais repèrent ta plaque d’immatriculation serbe et après tu peux essuyer des jets de pierre ou te faire agresser ». Ces plaques, il y a longtemps que l’administration de l’ONU les a supprimées. Dans tout le Kosovo, elles ont été remplacées par des numéros banalisés. Mais les Serbes de Strpce mettent un point d’honneur à conserver leurs anciennes immatriculations, identiques à celles qui sont d’usage en Serbie.

Aujourd’hui, les deux extrémités de Strpce sont gardées nuit et jour par les chekpoints des soldats ukrainiens de la Kfor, la force de l’Otan au Kosovo. La plupart des 9000 Serbes de l’enclave ne s’aventurent plus hors de ce mouchoir de poche large de 15 km, constitué d’un bourg et d’une dizaine de villages. Protégée par les montagnes qui la ceinturent, la petite communauté vit désormais en circuit fermé, obsédée par la peur d’un avenir incertain.

« La situation de Strpce est catastrophique et je ne crois pas que ce soit un endroit très agréable à vivre dans le futur, avoue tout de go Slavisa Staletovic, le maire adjoint. Les habitants de l’enclave se sentent totalement abandonnés. Les jeunes qui en ont les moyens ont fui en Serbie, ou à l’étranger».

Au Kosovo, Strpce est classée dans la zone C, la dernière sur l’échelle établie par la compagnie électrique de la province. Contrairement à d’autres régions, ses habitants ne reçoivent l’électricité que par périodes de trois heures environ, entrecoupées de plusieurs heures sans courant. Un système ubuesque, sans horaires ni avertissements. « Pour les matches et les films, c’est souvent frustrant, sourit Svetan, un jeune père de famille. Mais pour sortir de la zone C, la compagnie nous réclame de payer les factures jusqu’à l’époque d’après guerre, quand les coupures duraient plusieurs semaines. Nous refusons et depuis, c’est l’impasse ». Les nuits à Strpce sont pour l’instant bercées par le doux ronronnement des générateurs à essence.

Cette situation révolte Dragisa Kuzmanovic, le directeur de la fromagerie Sar Lahor, l’une des seules industries de l’enclave. En 1999, au lendemain de la guerre, cet entrepreneur du cru a réuni des capitaux pour relancer le fromage de Sar - une sorte de tomme au lait de vache, spécialité de ces montagnes. « Je tenais la recette de mes grands-parents », raconte t-il. « Notre fromage avait du succès dans toutes les enclaves serbes et même chez quelques clients albanais ». Les violences inter-ethniques de 2004 ont mis un terme prématuré à cette saga. Ses camions de livraison n’étant plus en sécurité ailleurs, Dragisa doit se contenter de commercialiser ses fromages dans les épiceries de Strpce. Beaucoup clament ici que les activités des enclaves serbes sont victimes d’une asphyxie économique organisée par les Albanais du Kosovo. « C’est injuste, se désole t-il. Dans un contexte politique pareil, qui oserait investir ? ».

L’indépendance, personne n’en parle ouvertement à Strpce. Mais dans les cafés enfumés du bourg, sa perspective imminente marque chaque conversation. Beaucoup affirment qu’elle serait synonyme d’exil forcé, à plus ou moins long terme. « Dans la ville voisine d’Urosevac, nous vivions en bon voisinage avec les Albanais, raconte Zivojin Kojic, le pope de la petite église orthodoxe de Strpce. Mais en 1999, j’en ai été chassé, avec toutes les familles serbes. Ici, nous sommes en sécurité. Si on nous en chasse, nous n’aurons plus nulle part où aller ».

Matthieu Fauroux

(Reportage réalisé pour le journal Sud Ouest)

Bientôt le Kosovo...



Bienvenue sur le blog de notre reportage ! Dans quelques jours, notre équipe se posera à Štrpce, une enclave serbe au sud du Kosovo, avec notre caméra et nos appareils photo.

Étudiants à l'école de journalisme de Bordeaux (IJBA), nous avons organisé ce reportage pour tourner un film documentaire et réaliser plusieurs articles pour des journaux, sites web et radios français.

Durant deux semaines, nous allons vivre au rythme de cette commune rurale du Kosovo, aller à la rencontre de ses habitants. Ce blog n'est pas seulement le making off du reportage : c'est aussi un calepin où nous feront part de nos galères, nos impressions et nos premières infos, illustrées par les photos prises sur place. Écrivez-nous !